PHÉNOMÈNES OCCULTES (1/4)
La tâche que j'entreprends m'a été suggérée par les phénomènes
occultes dont j'ai été témoin, grâce à mes relations avec Mme Blavatsky et la Société
Théosophique. Le premier problème à résoudre était de savoir si vraiment Mme Blavatsky avait le pouvoir de produire des manifestations anormales. On s'imaginera peut-être qu'une fois cette certitude acquise, il devenait très simple, ayant fait la connaissance de Mme Blavatsky, d'obtenir toutes les informations désirables. Mais les enquêtes de cette nature sont entourées de telles difficultés que bien des gens perdent patience, abandonnent la poursuite et restent
ignorants de la vérité jusqu'à la fin de leurs
jours. Ainsi dès ma première rencontre avec Mme Blavatsky, elle devint mon hôte et resta six semaines dans ma maison à Allahabad. Cependant je recueillis fort peu de choses sur ce que je tenais le plus à approfondir. Naturellement, elle me parla beaucoup de l'occultisme et des Maîtres, mais malgré son grand désir et le mien non moins vif, je ne pus avoir toutes les preuves que la recherche de la vérité me poussait à réclamer, à cause d'insurmontables obstacles.
Nous l'avons déjà dit, les
Adeptes éprouvent une extrême
répugnance à divulguer leur puissance. Peu importe que ce soit l'
amour
ardent de la vérité ou une curiosité stérile qui fasse
demander des phénomènes, ils ne veulent pas attirer les candidats
à l'
Initiation par l'exhibition de prodiges. Les
religions fondées
sur des miracles en ont tiré grand parti, pour
exalter les
esprits, mais
l'occultisme n'est pas une étude dans laquelle on puisse se jeter d'enthousiasme,
après avoir assisté à un déploiement de pouvoir extraordinaire ; il n'y a pas de règle absolue pour interdire ces manifestations. Seulement les autorités supérieures de l'occultisme les désapprouvent en principe ; il est donc impossible, à un
disciple moins avancé, de méconnaitre ce blâme. La
liberté accordée à Mme Blavatsky pendant sa visite fut limitée à d'infimes démonstrations. On lui permit de montrer que les
coups frappés attribués par les spirites à un
agent spirituel, peuvent être produits à volonté : faute de mieux, notre attention fut concentrée sur les coups frappés.
Les spirites savent que s'il y a un médium dans un
groupe de personnes assises autour d'une table et posant leurs mains sur cette
table, de petits coups se font généralement entendre ; ils répondent
aux questions posées et donnent des messages complets lettre par lettre.
Les nombreuses personnes qui ne croient pas au spiritisme s'imaginent volontiers
que tous ceux qui, par millions, y croient, sont trompés en ce qui concerne
ces coups frappés. L'immense extension de cette duperie doit parfois les
embarrasser, mais ils soutiennent n'importe quelle théorie plutôt
que d'admettre la possibilité de se communiquer, attribuée aux
esprits
des morts. Ou, se plaçant à un point de
vue scientifique, ils nient
qu'un effet physique puisse se produire sans cause physique. La théorie
d'une
mystification universelle semble assez maladroite à quiconque n'est
pas un
négateur ridiculement infatué de lui-même. Mes explications
devraient être les bienvenues, car elles tendent à montrer qu'il y a d'autres manières d'expliquer les coups frappés dont nous nous occupons en ce moment se conciliant avec la répugnance à accepter
l'hypothèse spirite.
Pour en revenir à Mme Blavatsky, je m'aperçus
bientôt que les coups étaient toujours frappés sur la table
auprès de laquelle elle s'asseyait dans l'intention de produire les bruits
; toute idée de fraude fut vite écartée par la comparaison
des divers résultats obtenus. Il n'était pas nécessaire que
d'autres personnes se missent à la table. Ce meuble même n'était
pas indispensable ; nous pouvions travailler dans n'importe quelles conditions
: un carreau de vitre, le mur, une porte, bref tout ce qui était de nature
à rendre le son d'un coup frappé. On vit de suite qu'une porte à
panneau vitré, entr'ouverte, serait un instrument très commode,
car il était facile de se tenir en face de Mme Blavatsky, de voir ses ou
sa main nue (sans bagues)
immobile sur la vitre et de percevoir en même
temps les petits coups très distincts. Ils rappelaient le bruit produit
par la pointe d'un crayon ou par des étincelles jaillissant d'un bouton
à un autre dans un appareil électrique. Souvent le soir nous placions
sur le tapis, devant la cheminée, un grand globe de pendule ; Mme Blavatsky
s'asseyait à côté sans que sa robe pût le
toucher, elle
posait ses mains dessus sans bagues. Nous allumions une lampe en face et
nous mettions nous-mêmes sur le tapis, dans une posture qui permettait à
chacun de voir, sur le verre, la paume des mains de notre hôtesse ; dans
ces conditions pleinement satisfaisantes, les coups clairs et distincts se produisaient
sur la surface sonore du globe.
Comment ces coups étaient-ils frappés ? Mme
Blavatsky n'avait pas le pouvoir de nous en donner une explication exacte. Toute
dépense de
force occulte se rapporte à quelque secret. Si, au point
de
vue phénoménal, les coups frappés avaient peu d'importance,
ils étaient l'effet physique d'un effort de volonté. Et la manière
dont la volonté peut être entraînée à produire
des effets physiques peut être trop identique, tant en ce qui concerne les
grands phénomènes que les petits, pour qu'elle puisse être
conformément aux règles de l'occultisme, le sujet d'explications
précises destinées à des personnes non
initiées. Les
coups obéissaient, j'ai vérifié le fait de plusieurs manières
; celle-ci entre autres, soit au moyen de la vitre, soit avec le globe. Je donnais
un nom, au hasard, demandant qu'il fût épelé et je récitais
alors l'alphabet. Les coups étaient frappés aux lettres qui convenaient.
Ou encore je fixais un nombre de coups et je l'obtenais ; j'imposais aux bruits
un rythme déterminé, il était observé. Ce n'est pas
tout, Mme Blavatsky posait une ou deux mains sur la tête de quelqu'un. Un
auditeur attentif percevait distinctement les coups et la personne touchée
sentait chaque petit choc comme si elle tirait des étincelles du conducteur
d'une machine électrique.
Plus tard, au cours de mes recherches, les résultats
furent encore meilleurs. Par exemple : Coups perçus sans qu'il y eût
contact entre l'objet résonnant et les mains de Mme Blavatsky. C'était
à Simla (été de 1880). Je puis anticiper, du moins en ce
qui concerne les coups. A Simla, entourée d'observateurs sérieux,
Mme Blavatsky avait l'habitude de produire des coups sur une petite table que
personne ne touchait ; elle y posait les mains quelques instants et, après
l'avoir comme chargée de fluide, les retirait et tenait l'une d'elles,
à un pied environ au-dessus du meuble, faisant des passes magnétiques
auxquelles répondait de suite le bruit familier. Ces expériences
réussissaient non seulement chez nous avec nos propres tables, mais chez
ceux de nos amis que Mme Blavatsky allait visiter avec nous. Elles se développèrent
et plusieurs personnes purent ressentir simultanément le même coup.
Quatre ou cinq personnes plaçaient quelquefois leurs mains les unes au-dessus
des autres, Mme Blavatsky posait les siennes sur cette pile, qui reposait sur
la table, et ce que j'appellerai un courant traversait toutes ces mains en même
temps, puis faisait retentir un coup sur la table, au-dessous. Tous ceux qui ont
participé à la formation de tels entassements de mains se rendront
compte de l'absurdité des explications fournies dans les journaux indiens,
à propos de ces coups, par des sceptiques fortes têtes qui
ne se laissaient pas mystifier et attribuaient les bruits aux ongles des pouces
de Mme Blavatsky ou au craquement de quelques-unes de ses articulations.
Je résume les faits en citant une lettre que j'écrivis à cette époque : « Mme Blavatsky pose ses mains sur une table, on y entend des coups. Des malins insinuent qu'elle se sert des ongles de ses pouces ; elle met une seule main ; les coups. Cache-t-elle quelque chose sous sa main ? elle l'enlève, la tient au-dessus de la table, toujours les coups.
A-t-elle truqué ce guéridon ?
Elle place sa main sur une vitre, sur un cadre, dans une
douzaine d'endroits différents et chaque fois se répètent
les bruits mystérieux. La maison où elle demeure avec ses amis a-t-elle
été préparée de fond en comble ? Elle va dans une
demi-douzaine d'habitations à Simla et partout fait entendre ces coups
; viennent-ils vraiment d'où ils semblent sortir ou serait-ce de la ventriloquie
? Elle pose la main sur votre tête et sous les doigts
immobiles, vous sentez
quelque chose qui ressemble à une série de légers chocs électriques et l'auditeur attentif à côté de vous entend de petits coups sur votre crâne. Mentez-vous en affirmant que vous les sentez ? Une douzaine de mains s'empilent sur la table, Mme Blavatsky y ajoute les siennes, chaque personne perçoit les faibles pulsations qui traversent la pile de mains et se résolvent en coups grêles tombant sur la table. Quand on a assisté à ces phénomènes aussi souvent que moi, imaginez ce qu'on éprouve en entendant dire : « Il n'y a là que prestidigitation ; Maskelyne et Cooke
(1) peuvent en faire autant, à dix livres par soirée. » Maskelyne et Cooke ne le feraient ni pour dix livres ni pour dix laks de roupies, dans les conditions que j'ai décrites. »
Les coups entendus, dès la première visite
que Mme Blavatsky nous fit à Allahabad, avaient suffi pour me convaincre
qu'elle possédait des facultés anormales. Cette conviction me fit
accepter un ou deux autres phénomènes d'un genre différent.
Je ne puis les raconter ici parce qu'ils ne furent pas soumis à un examen
assez complet. Nous étions déçus de ne pas arriver à
la certitude absolue sur les questions qui nous intéressaient le plus,
à savoir s'il existe vraiment des hommes possédant les pouvoirs
attribués aux
Adeptes, et si par cette voie il est possible à des
créatures humaines d'obtenir des renseignements précis sur les caractéristiques de leur propre nature spirituelle ? Mme Blavatsky, on doit s'en souvenir, ne prêchait aucune doctrine particulière à ce sujet. Nos questions seules, lui arrachèrent ce qu'elle nous apprit sur les Maîtres et sur sa propre
initiation. Elle cherchait à intéresser tous ses amis à la
théosophie, sans lui attribuer de doctrines spéciales. Elle recommandait simplement cette théorie : que l'Humanité est une
Fraternité universelle dont chaque membre doit étudier les vérités spirituelles avec un
esprit dégagé de tout dogmatisme. Bien que l'attitude de Mme Blavatsky ne la mit pas dans l'obligation morale de nous prouver la réalité de l'occultisme, sa conversation, la lecture de son livre
Isis dévoilée,
nous ouvraient des
horizons que nous désirions naturellement explorer de
plus près.
Nous subissions le supplice de Tantale auprès d'une
personne investie, de par son éducation
occulte, d'une réelle puissance
sur la matière et ne pouvant pas nous donner la preuve définitive
qui aurait réduit en poussière les fondations
primordiales de la
philosophie matérialiste.
Nous pûmes, par exemple, nous convaincre de son absolue
bonne foi. Il est fâcheux d'avouer qu'elle fut attaquée sur ce point
dans l'Inde, par des gens hostiles aux idées qu'elle représentait,
et cela avec tant de cruelle insouciance, que ce serait de l'affectation de n'en
pas parler. D'un autre côté, s'appesantir sur ces bassesses serait
leur accorder trop d'attention. Mon intimité avec Mme Blavatsky m'a permis
d'apprécier sa parfaite loyauté. Dans l'espace de deux années,
elle fut, à plusieurs reprises, notre hôte pour un laps de temps
qui dépassa, au total, trois mois. Tout
esprit impartial reconnaîtra
que je suis en mesure d'avoir une opinion plus exacte sur son caractère
que des personnes l'ayant
vue une ou deux fois. Je ne prétends pas prouver
d'une manière scientifique, par cette sorte d'attestation, les phénomènes anormaux
dus, selon moi, à Mme Blavatsky. L'investigation scientifique rigoureuse est seule permise quand il s'agit d'un problème aussi capital à résoudre quelle créance accorder aux théories fondamentales
de la physique moderne ? Dans toutes les expériences auxquelles je me suis
livré, je me suis toujours attaché à exclure non seulement
la probabilité mais la
possibilité d'une tromperie ; lorsqu'il
n'a pas été en mon pouvoir d'assurer les garanties de rigueur, je
n'ai tenu aucun compte des résultats de l'expérience et ils ne sont
pas entrés dans la somme de mes conclusions finales. Autant que l'insulte
et la calomnie peuvent causer quelque tort, il est juste de redresser le mal qui
a été fait d'une façon si scandaleuse à une femme
d'un
esprit élevé et d'une impeccable honorabilité.
Voilà pourquoi je déclare ici que ma femme et moi avons acquis,
avec le temps, la certitude absolue que Mme Blavatsky était une nature
droite, qu'elle a sacrifié son rang et sa fortune jusqu'à se priver
de bien-être, d'abord pour s'adonner aux études
occultes, et ensuite
pour accomplir la tâche qu'elle a entreprise, comme
Initiée
humble encore relativement à la grande fraternité de fonder
la Société
Théosophique.
Indépendamment de la production des coups, un autre phénomène nous fut accordé, lors de la première visite
de Mme Blavatsky. Nous étions allés passer quelques
jours à Bénarès, et nous habitions avec elle une maison precirc;tée par le Maharadjah de Vizianagram : demeure énorme, nue, inconfortable, surtout pour des
Européens. Un soir, nous étions assis après le dîner dans le hall
central. Trois ou quatre
fleurs tombèrent soudain au milieu de nous,
des
roses coupées, comme il arrive parfois, dans l'obscurité, aux
séances spirites. Mais dans ce cas, plusieurs lampes et plusieurs bougies nous éclairaient. Le plafond de la salle se composait simplement de solides poutres et chevrons peints, qui supportaient la toiture plate et cimentée du bâtiment. Nous ne nous attendions à rien pas plus que Mme Blavatsky, assise dans un fauteuil et lisant ; aussi le phénomène ne produisit-il pas autant d'effet sur nos
esprits que si, prévenus, nous avions passé par une période d'attente, les yeux fixés sur le plafond. Il fut cependant toujours considéré par les témoins comme un des faits qui les amenèrent à accepter la réalité des pouvoirs
occultes. Les autres personnes n'ajouteront pas grande foi à ce récit ; elles feront naturellement une foule de questions sur la construction de la salle, les habitants de la maison, etc. ; les réponses seraient-elles faites de manière à rendre impossible mecirc;me l'hypothèse d'un truc mécanique amenant la chute des
fleurs, il resterait encore un soupçon dans l'
esprit du questionneur, peu disposé à croire l'explication exacte. J'ai cité cet incident pour montrer que les phénomènes accomplis en présence de Mme Blavatsky n'avaient pas,
nécessairement, besoin de sa coopération.
J'en arrive maintenant aux détails relatifs à des mystères
occultes plus profonds. Je voudrais relater des faits dont l'existence est aussi incontestable que celle de la gare de Charing-Cross et je suis accablé par la difficulté de présenter ces affirmations sans causer de trop fortes secousses à des gens dont l'
esprit est absolument inexpérimenté en dehors des ornières de pensées créées par leur habitude de n'accorder réflexion qu'aux phénomènes physiques. Il n'en est pas moins vrai que le
Frère (appellation familière donnée à l'
Adepte en occultisme), qui a voulu nous ménager la petite surprise citée plus haut, pouvait ecirc;tre au Tibet, dans le sud de l'Inde, ou ailleurs, et faire tomber les
roses comme s'il avait été dans le hall avec nous. J'ai déjà parlé du pouvoir de l'
Adepte d'ecirc;tre présent
en esprit, selon la formule
vulgaire,
en corps astral, d'après le terme
occulte, à n'importe quelle distance avec la rapidité de l'éclair.
Ainsi présent, et fut-il très éloigné de son
corps, il peut manifester
quelques-uns de ses pouvoirs psychologiques, aussi complètement qu'il
les exerce dans son
corps physique. Je ne prétends pas expliquer
comment il procède pour arriver à ces résultats, ni insinuer que je le sais. Je rapporte simplement le fait positif que, certains actes
occultes se sont passés en ma présence et j'interprète de mon mieux ce que j'ai pu découvrir. Il est depuis longtemps incontestable, pour moi, que partout où: Mme Blavatsky se trouvait, les
Adeptes pouvaient produire et produisaient les plus stupéfiants phénomènes avec ou sans son concours. On ne discernait jamais dans ce qui s'accomplissait autour d'elle la part qu'elle pouvait y prendre, l'
aide qui lui était donnée ou la neutralité qu'elle observait. Des renseignements précis sur ces opérations seraient contraires aux règles de l'occultisme, peu soucieux, il ne faut pas l'oublier, de convaincre
le monde de sa réalité. Je cherche, moi, à le faire, mais c'est un tout autre cas. Celui qui veut vraiment connaître la vérité ne peut avoir
d'autre attitude que celle du chercheur, il n'est pas
juge et l'occultisme n'a pas à plaider sa cause devant lui. Il est donc inutile
de nous quereller pour les observations que nous présentons, sous
prétexte qu'elles pourraient ecirc;tre meilleures. Le point est de savoir si
elles offrent une base solide pour y asseoir des conclusions rationnelles.
Je dois entrer dans d'autres
considérations à propos de toute recherche de la preuve d'un pouvoir
occulte en ce qui concerne des phénomènes physiques qui, sans son
intervention, seraient miraculeux. Bien des gens, je le prévois, en
dépit de l'inepte stupidité d'une semblable remarque, vont objecter que
mes expériences perdent de leur valeur, parce qu'elles portent sur des
phénomènes qui ont une ressemblance superficielle avec les tours de
prestidigitation conséquence naturelle de la prétention des faiseurs
de tours, qui veulent se donner un
faux air d'occultistes. Quelle que
soit l'opinion du lecteur sur ce sujet, il doit admettre pour un
instant qu'il peut exister une
Fraternité occulte, maîtrisant les
forces de la nature au moyen d'étranges pouvoirs encore inconnus de la
masse humaine ; que cette
Fraternité est liée par des règles qui
restreignent, sans la prohiber d'une façon absolue, la mise en uvre de
ces pouvoirs. Que le lecteur alors propose des épreuves simples, mais
scientifiques, par lesquelles la réalité de quelques-uns de ces
pouvoirs lui sera démontrée. Il ne pourra pas éviter que l'épreuve
choisie ne ressemble vaguement à une scène de prestidigitation ; elle
n'en conservera pas moins toute sa portée pour ceux qui savent examiner
à fond une expérience quelconque.
Un abîme sépare les phénomènes, que je
vais décrire, de ce qui pourrait ecirc;tre imité par un adroit Robert
Houdin, car les conditions sont très différentes. Le prestidigitateur
travaille sur la scène ou dans un local préparé. Les manifestations les plus remarquables, que j'ai obtenues avec Mme Blavatsky, ont eu lieu dehors, dans les
bois et sur les collines, là où: nous choisissions, au hasard, un endroit pour nous arrecirc;ter. Les compères invisibles du faiseur de tours l'assistent derrière le rideau. A son arrivée, Mme Blavatsky ne connaissait personne à Simla ; elle était chez moi une
invitée, soumise à mon observation pendant toute la durée de son
séjour. Le prestidigitateur est payé pour couvrir les dépenses
entraînées par l'exécution de tel ou tel tour d'illusion. Mme Blavatsky
était, ainsi que je l'ai déjà expliqué, une
dame d'une parfaite honorabilité. Elle s'employait à aider ses amis, à leur demande instante partout où: les phénomènes étaient produits, à assister à quelque manifestation des pouvoirs pour l'acquisition desquels elle avait sacrifié tout ce que le monde chérit généralement, renonçant par là à une situation sociale et à une fortune bien supérieures à tout ce
à quoi pourrait prétendre un prestidigitateur ou imposteur quelconque
et cela sans tirer profit de ses pouvoirs comme le fait le prestidigitateur. Les adversaires de l'hypothèse
occulte, qui poursuivent Mme Blavatsky d'injurieux soupçons, oublient constamment qu'ils manquent de sens commun en refusant de tenir compte de cet aspect de la question.
Aux premiers
jours de septembre 1880, Mme Blavatsky vint demeurer avec nous à Simla. Divers phénomènes eurent lieu pendant les six semaines qui suivirent son arrivée. Ils devinrent, pour un temps, le sujet de conversation de tous les Anglo-Indiens, et causèrent une certaine agitation parmi les personnes qui voulaient, malgré tout, les traiter d'impostures. Nous nous aperçumes bientôt que les restrictions dont nous ignorions la nature apportées l'
hiver précédent à l'exercice des pouvoirs de Mme Blavatsky, semblaient moins
rigoureuses. Nous fûmes témoins d'un phénomène nouveau. Par une
application différente de la
force dont elle se servait pour produire
les coups frappés, notre hôtesse put faire entendre dans l'
air sans
l'intermédiaire d'aucun objet matériel le son d'une clochette
d'
argent et parfois un petit carillon
composé de plusieurs notes. On
nous avait déjà parlé de ces clochettes, mais nous ne les avions jamais
entendues. La première fois qu'elles sonnèrent pour nous, c'était un
soir après le dîner. Nous étions encore autour de la table ; elles
retentirent, se répétant au-dessus de nos tecirc;tes, et nous eûmes mecirc;me un
de ces carillons. Plus tard, je les ai entendues maintes et maintes
fois dans toutes sortes d'endroits, à l'
air libre ou dans les maisons
que Mme Blavatsky visitait de temps à autre. Pour ce cas, comme pour
celui des coups, toute hypothèse, soutenue par un partisan de la
théorie de l'imposture, est détruite, si on examine les faits, leur
nombre, les conditions différentes et les circonstances variées dans
lesquelles ils se sont produits. La supposition d'une fraude ne tient
pas debout en présence du phénomène de la clochette. Le son des coups
frappés s'obtient de mille façons ordinaires ; pour s'assurer qu'il
n'est pas dû à une cause connue, on est obligé de répéter les
expériences en prenant des garanties indispensables ; le son de la
clochette, au contraire, s'obtient par des moyens mécaniques
restreints. Il faut avoir une sonnette ou un objet du mecirc;me genre pour
causer ce bruit très défini. Donc, si dans une
chambre bien éclairée,
assis et attentif à tout ce qui se passe, vous entendez le son d'une
clochette au-dessus de votre tecirc;te, là où: vous savez qu'il n'y a pas de
clochette, attribuerez-vous cela à la fraude ? Le son provient-il d'un
dispositif ou d'un appareil placé dans une autre pièce que celle où:
vous ecirc;tes ? Aucune personne raisonnable n'acceptera cette théorie si
elle a perçu elle-mecirc;me le son en question, qui est incompatible avec
une pareille idée. Il n'est jamais bruyant du moins pour moi mais
toujours extrecirc;mement clair et distinct. Si vous frappez légèrement,
avec un couteau, le bord mince d'un verre à
Bordeaux, vous obtiendrez
un son qui ressemble au son
occulte. Ce dernier est d'un timbre plus
sonore et plus pur, sans l'ombre d'une fausse résonance. Je l'ai
entendu ce bruit argentin, en plein
air, dans l'atmosphère silencieuse
du soir. A l'intérieur des maisons, il ne vibrait pas toujours
au-dessus de nos tecirc;tes, mais quelquefois sur le plancher, au milieu des
pieds des assistants réunis pour l'écouter. Un soir, mecirc;me, nous dînions
tous deux chez un ami. Le phénomène s'était produit deux ou trois fois dans le salon ; l'un de nous retourna dans la salle à manger séparée du salon par deux pièces. Il allait y prendre un bol en verre pour servir à une des formes de notre expérimentation, qui était de chercher à imiter le son des clochettes
occultes ; il était seul et entendit la clochette à côté de lui. Mme Blavatsky, pourtant, n'avait pas quitté le salon ceci renverse l'explication absurde pour ceux qui ont souvent ouï le son des personnes qui prétendent que Mme Blavatsky portait sur elle un appareil sonore ! L'idée de
compérage tombe également, puisque, à plusieurs reprises, j'ai entendu les notes argentines auprès du
palanquin (djampane) de Mme Blavatsky ; je marchais à côté, seul avec les porteurs.
Les sons de clochettes ne sont pas de simples et gracieux exemples des propriétés des courants mis en action pour les produire. Ils remplacent la sonnerie d'appel du télégraphe, car les
Initiés (2), reliés entre eux par le fil magnétique mystérieux qui leur permet de communiquer les idées peuvent alors, paraît-il, faire entendre la clochette n'importe où: il se trouve, à l'
Adepte dont ils veulent attirer l'attention. Souvent Mme Blavastky a été appelée
ainsi, lorsque nous étions tranquillement occupés, le soir, à lire en
petit comité. Un léger
tintement frappait soudain
nos oreilles. Mme Blavatsky se levait et allait dans sa
chambre pour
apprendre ce qu'elle avait à faire. Nous eûmes, dans les circonstances
suivantes, un très bel exemple du son produit à distance par l'un des
Initiés. Une
dame, de passage à Simla et habitant une autre maison,
dînait avec nous, quand, vers onze heures du soir, je reçus un billet
de son hôte contenant une lettre qu'il me priait de confier à Mme
Blavatsky qui consentirait peut-ecirc;tre à l'envoyer, par son pouvoir
occulte, à un certain membre de la grande
Fraternité, auquel nous
avions tous deux écrit.
J'expliquerai amplement plus tard l'origine de cette correspondance. Nous étions anxieux de savoir si, la lettre étant expédiée de suite, la réponse pourrait arriver assez tôt pour que Mme X., qui demeurait sur la colline, pût l'emporter. Mais Mme Blavatsky déclare qu'elle était incapable à elle seule, d'accomplir cet exploit. Il s'agissait de savoir si une certaine personne, un
frère aux pouvoirs à demi-développés, alors dans le voisinage de Simla, donnerait l'aide nécessaire. Mme Blavatsky dit qu'elle allait essayer de le
trouver,
et, prenant la lettre, elle passa dans la véranda. Nous la suivîmes
tous ; penchée sur la balustrade, regardant la vallée de Simla, elle
resta quelques minutes
immobile et muette, nous aussi. La nuit était
assez avancée pour que tous les bruits du
jour fussent endormis. Le
silence était absolu. Soudain, en l'
air, devant nous, la note
cristalline résonna. « Très bien », s'écria Mme Blavatsky, « il la
prendra ». Et effectivement la lettre fut bientôt prise. Mais le
phénomène de sa transmission sera mieux exposé au lecteur en mecirc;me temps que d'autres exemples. J'arrive maintenant à une série d'événements qui montrent le pouvoir
occulte sous un aspect plus frappant que tous ceux déjà relatés.
Pour un
esprit scientifique, la production du son, au moyen d'une
force inconnue de la science officielle, serait une preuve aussi probante du pouvoir
occulte que le transport d'objets matériels par des procédés
occultes. Le son arrive à nos oreilles uniquement par la vibration de l'
air ; attribuer la moindre ondulation aérienne à une pensée paraîtra aussi absurde au public que si on prétendait qu'elle peut déraciner un
arbre. Il y a cependant des degrés dans le merveilleux, le sentiment les reconnaît si
la raison ne le fait pas.
Le premier des faits de cette espèce, que je vais citer, ne prouve pas grand-chose pour ceux qui ne l'ont pas vu. Je le rapporte à l'intention des lecteurs qui, par l'étude du spiritisme ou autrement, sont déjà préparés à admettre la possibilité de semblables phénomènes et s'intéressent aux expériences qui peuvent en éclairer la genèse, plutôt qu'aux textes.
Le fait dont nous nous occupons aurait été une admirable preuve, s'il avait été mieux présenté, mais Mme
Blavatsky, livrée à elle-mecirc;me, était la plus mauvaise organisatrice
d'épreuves qu'on pût recirc;ver. N'ayant aucune sympathie pour les
esprits
positifs et incrédules, ayant longtemps, parmi les
mystiques d'Asie,
cultivé ses facultés créatrices et non ses facultés critiques, elle ne
pouvait concevoir les méfiances compliquées avec lesquelles
l'observateur
européen aborde le merveilleux. Pendant des années, elle
s'était, pour ainsi dire, nourrie de merveilleux, sous des aspects tels
qu'ils défient l'imagination. Il est donc facile de comprendre pourquoi
l'examen soupçonneux, qui cherche la fraude dans la moindre
manifestation
occulte, lui paraissait stupide et fastidieux. C'était à
rebours l'impression que nous éprouvons en face d'une trop grande
crédulité.
Une après-midi, vers la fin de
septembre, ma femme et Mme Blavatsky allèrent se promener sur le sommet
d'une colline située dans nos environs ; elles étaient accompagnées
seulement d'une autre personne. Je n'y étais pas. Là, Mme Blavatsky
demanda à Mme Sinnett, sur le ton de la plaisanterie, quel était son
désir ; celle-ci répondit au hasard : « Ce serait d'avoir un mot écrit
par l'un des
Adeptes. »
Son interlocutrice tira de sa poche un morceau
de papier
rose, qu'elle avait déchiré d'une lettre reçue le matin, le
plia et replia, s'avança sur le bord du plateau et le tint élevé
pendant quelques secondes, puis revint en disant qu'il était parti.
Après avoir communiqué mentalement avec l'
Initié éloigné, selon la
méthode
occulte, Mme Blavatsky dit à ma femme qu'il demandait où: elle
voulait recevoir la lettre. Elle répliqua d'abord qu'elle voudrait la
voir arriver et tomber sur ses genoux. Puis, après avoir discuté si ce
serait la meilleure manière, il fut convenu qu'elle la trouverait sur
un certain
arbre. C'était une faute de nature à exciter les soupçons
des incrédules déterminés. On pouvait supposer que Mme Blavatsky avait des raisons particulières en suggérant le choix d'un
arbre. Les
lecteurs qui persistent à croire à la fraude, après tout ce qui a été dit plus haut, doivent se rappeler que ce récit n'est pas offert comme preuve, mais simplement comme la relation d'un fait.
Mme Blavatsky parut s'ecirc;tre trompée en
désignant un
arbre où: la lettre devait se trouver, car ma femme s'étant
donné quelque peine pour atteindre la branche inférieure d'un tronc uni
et dépourvu de feuilles ; elle n'y découvrit rien du tout. Mme
Blavatsky se mit de nouveau en communication avec l'
Adepte éloigné, et
elle reconnut son erreur. Mme Sinnett se dirigea vers un autre
arbre
dont personne ne s'était encore approché, grimpa un peu et examina les
branches de tous côtés. Au premier coup d'il, elle ne vit rien, mais,
tournant la tecirc;te, sans changer de position, elle aperçut, sur un petit
rameau placé sous ses yeux et qui n'avait que des feuilles une minute
avant un billet
rose, fixé sur la tige d'une feuille qui venait
d'ecirc;tre arrachée, car la tige était verte et humide, non flétrie, comme
si elle avait été coupée depuis peu de temps. Le feuillet contenait
quelques mots : « On m'a demandé de
déposer ici une lettre pour vous.
Que puis-je faire pour vous ? » La signature était formée de caractères
tibétains. Le papier
rose paraissait bien ecirc;tre le mecirc;me que celui que
Mme Blavatsky avait auparavant sorti de sa poche, net de toute écriture.
Comment était-il parvenu à l'
Initié et
comment, après avoir écrit dessus, ce dernier l'avait-il renvoyé au haut de notre colline ? Sans parler de la façon mystérieuse dont il était attaché à l'
arbre ! Il serait prématuré d'exposer mes
conjectures en détail, il est
préférable de scruter à fond les faits observés. Il est inutile de discuter sur la texture des ailes du poisson volant avec des gens qui
nient son existence et refusent d'accepter des phénomènes
moins garantis par l'orthodoxie que les roues des chars des Pharaons.
Je passe aux incidents d'une journée
très remarquable, mais un prologue est nécessaire : Nous avions fait la
veille une petite expédition qui, par suite de fâcheux contre-temps, au
lieu d'ecirc;tre intéressante, n'avait pu aboutir. Nous nous étions égarés à
la recherche d'un endroit dont Mme Blavatsky avait reçu une
insuffisante description ou une description qu'elle avait mal
comprise dans une conversation
occulte avec un
Adepte, qui passait
par Simla. Nous aurions eu la bonne fortune de le rencontrer si nous
avions suivi la vraie piste, car il passa une nuit dans un de ces vieux
temples tibétains, asiles des voyageurs que l'on trouve souvent dans
l'Himalaya et auxquels l'aveugle indifférence des Anglais n'accorde, en
général, ni importance ni intérecirc;t. Mme Blavatsky ignorait complètement
la topographie de Simla ; à la description qu'elle nous fit du lieu où:
elle voulait aller, nous crûmes reconnaître juste un autre endroit.
Nous nous mîmes en marche et, pendant longtemps, Mme Blavatsky déclara
qu'elle sentait, par certains courants, que nous devions ecirc;tre sur la
voie. Nous sûmes plus tard que le chemin qui conduisait où: nous allions
et celui qui menait où: nous aurions dû aller se confondaient sur un
long parcours, mais un léger écart nous détourna et nous engagea dans
des sentiers de
montagne où: Mme Blavatsky perdit complètement la trace.
Nous revînmes en arrière et nous, qui connaissions Simla, discutâmes,
cherchant en pure perte où: elle voulait arriver. Nous nous laissâmes
entraîner au bas d'une pente où: elle déclara retrouver le courant
perdu, mais les courants
occultes peuvent circuler là où: il est
impossible aux voyageurs de passer, et après cette dernière tentative,
le cas me parut désespéré. Nous abandonnâmes notre projet et nous
revînmes au logis très désappointés.
Pourquoi, demandera-t-on, le Maître
omniscient ne s'aperçut-il pas de l'erreur de Mme Blavatsky qu'il lui
était facile de rectifier. Je prévois l'observation car je sais, par
expérience, que les personnes étrangères au sujet n'ont pas idée de la
nature des relations qui existent entre les
Adeptes et des
investigateurs tels que nous. Dans ce cas, croit-on, par exemple, que
le Sage fut anxieux de prouver son existence à un jury d'intelligents
Anglais ? N'étant pas
initiés nous-mecirc;mes, nous savons très peu de choses sur la vie journalière d'un haut occultiste. Nous pouvons à
peine deviner quels sont les objets qui occupent réellement son
attention, mais nous pouvons dire que, constamment engagé dans une uvre sublime, la curiosité de ceux qui ne poursuivent pas, d'une façon sérieuse, l'étude de l'occultisme, ne l'intéresse point. En dehors de certaines circonstances exceptionnelles, il lui est interdit de faire la moindre concession
à cette curiosité. Dans notre cas, voici ce qui se sera produit : Mme Blavatsky ayant perçu, à l'aide de ses facultés
occultes, la présence d'un de ses
illustres amis et désirant nous obliger, lui aura
demandé de nous permettre de le voir. Celui-ci, considérant sans
doute de semblables requecirc;tes comme le ferait l'astronome royal, sollicité par un ami d'autoriser une société de
dames à regarder dans ses télescopes, il n'est pas impossible qu'il ait répondu à Mme Blavatsky, son
frère cadet en occultisme, pour lui faire plaisir : « Soit,
amenez-les si vous voulez : je suis à tel ou tel endroit. » Puis il aurait continué ses travaux et, plus tard, s'apercevant qu'il n'avait pas reçu la visite
annoncée, peutecirc;tre se serait-il arrecirc;té une seconde pour voir
ce qui l'avait empecirc;chée.
Quoi qu'il en soit, l'expédition combinée avait
échoué. Nous organisâmes un pique-nique pour le lendemain, non plus dans l'espoir de rencontrer le Maître, mais dans la
disposition générale de nous attendre à quelque chose. La direction prise la veille ne nous ayant menés à rien, nous choisîmes celle que nous regrettions de n'avoir pas suivie.
A l'heure dite, nous étions precirc;ts,
sept au lieu de six, par suite de l'adjonction imprévue d'une personne
qui se joignit à nous au moment du départ. Après avoir descendu la
montagne pendant quelques heures, nous nous arrecirc;tâmes pour déjeuner,
dans le
bois, près de la cascade supérieure. Les paniers furent défaits
et les domestiques, selon l'usage des pique-niques indiens, allumèrent
un
feu pour préparer le thé et le café. A ce propos, quelques
plaisanteries furent échangées parce que nous manquions d'une tasse et
d'une soucoupe, n'ayant pas prévu la présence de notre
compagnon
supplémentaire. L'un de nous pria, en riant, Mme Blavatsky de fabriquer
ce qui nous manquait. La proposition n'avait d'abord rien de sérieux,
mais quand elle répondit que ce serait très difficile, qu'elle
essaierait cependant si nous le désirions, l'attention fut aussitôt
excitée. Suivant son habitude, Mme Blavatsky entra en communication
mentale avec l'un des
Initiés et erra un peu dans notre voisinage
immédiat c'est-à-dire dans un rayon de six ou douze mètres autour de
notre nappe. Je la suivis de près pour voir ce qui pourrait arriver.
Enfin elle désigna une place sur le sol et demanda à l'un des hommes de
notre société d'apporter un couteau pour y fouiller. L'endroit choisi
était le bord d'un petit talus couvert d'herbes et d'épaisses
broussailles.
M. X..., appelons-le ainsi j'aurai à
reparler de lui se mit, non sans difficulté, à arracher des
arbrisseaux, car les racines étaient dures et fort enchevecirc;trées. Puis
taillant et creusant avec son couteau et rejetant les débris avec les
mains, il parvint au bord de quelque chose de
couleur blanche ; une
fois extrait, ce quelque chose se trouva ecirc;tre la tasse demandée et sa
soucoupe fut bientôt découverte. Ces deux objets gisaient au milieu des
racines qui formaient un réseau sous la terre et semblaient avoir
poussé autour d'eux. La tasse et la soucoupe étaient exactement du mecirc;me
modèle que celles apportées pour le pique-nique. Ajoutées aux autres,
elles constituaient un service de sept tasses et sept soucoupes
identiques. Je dirai de suite, qu'à notre retour chez nous, ma femme
demanda à son premier Khidemegâr combien nous possédions de cette
petite vaisselle déjà ancienne ; il répondit sans hésiter : neuf. Les tasses réunies et comptées, le nombre était exact. Nous les avions achetées à Londres longtemps auparavant, mais avec celle qu'on avait déterrée, cela faisait dix et le modèle, un peu spécial, ne pouvait certainement pas se trouver à Simla.
La notion que des ecirc;tres humains peuvent créer des objets matériels par l'exercice d'un pouvoir purement
psychologique révoltera la raison de ceux qui n'ont jamais abordé un
semblable sujet. Ce ne serait pas rendre la chose plus acceptable que
de dire, dans le cas de la tasse et de la soucoupe, qu'elles avaient
été
dédoublées plutôt que créées. Présenter aux
yeux le
double d'un objet ne parait ecirc;tre qu'un mode
différent de création création d'après un type donné. Quoi qu'il en soit, tels sont les incidents de cette matinée ; je me suis attaché à en rendre les moindres détails avec la plus rigoureuse véracité. Ou le phénomène est la merveilleuse manifestation d'une
force complètement inconnue au monde scientifique moderne, ou il ne peut ecirc;tre qu'une fraude laborieusement échafaudée. Cette dernière hypothèse perd toute sa valeur si l'on songe à l'impossibilité morale absolue de la
participation de Mme Blavatsky à une telle imposture. C'est pour une
personne d'intelligence moyenne, au courant des faits ou pour celle qui
se fie à ma parole, un moyen peu acceptable de sortir du dilemme.
La tasse et la soucoupe furent déterrées comme je l'ai raconté, c'est certain. Si elles n'ont pas été déposées en ce lieu par une action
occulte, elles y ont été enfouies d'avance. Or, j'ai décrit le terrain d'où: elles furent tirées ;
assurément, à en juger par la végétation qui le couvrait, il n'avait pas été remué depuis des années. Mais on peut objecter qu'une sorte de tunnel avait pu ecirc;tre creusé d'un autre côté du talus en pente, permettant de faire glisser les objets jusqu'au point où: on les
découvrit. Cette théorie ne supporte pas l'examen quant à la
possibilité matérielle. Le tunnel, exigeant une certaine longueur pour
remplir le but assigné, aurait laissé des traces ; on n'en a relevé
aucune après une recherche attentive faite aussitôt, sous l'impression
que le phénomène avait été préparé. Ce qui, en vérité, est insoutenable
pour la raison que la demande d'une tasse avec sa soucoupe entre les
myriades de choses qu'on aurait pu réclamer était absolument
imprévue. Elle résultait d'une circonstance fortuite, car, si une
personne de plus ne s'était pas jointe à nous, à la dernière minute, le
nombre des tasses, emballées par les domestiques, aurait suffi à nos
besoins et on ne se serait pas occupé de ce détail. C'étaient aussi les serviteurs qui, en dehors de tout contrôle, avaient choisi ce service
de préférence à d'autres qui pouvaient, également, ecirc;tre emportés. Si la fraude avait été préméditée, il aurait fallu nous contraindre à choisir l'endroit précis où: nous nous sommes arrecirc;tés pour déjeuner ; mais l'emplacement où: furent déposés les yampans des
dames fut désigné par
M. X... et moi, et, à quelques mètres de là, nous trouvâmes la tasse.
Laissons donc les absurdités hypothétiques de la fraude et examinons
quels pouvaient ecirc;tre les
agents employés à cacher la tasse sous terre
et comment ils auraient accompli l'opération. Mme Blavatsky demeurait
sous notre toit et ne sortit pas depuis le moment où: le pique-nique fut
décidé jusqu'au départ, le lendemain matin.
Son unique domestique
personnel était un garçon de Bombay, étranger à Simla. Il ne quitta pas non plus la maison du soir au matin et je l'entendis parler, pendant la
nuit, à mon propre porteur, car j'avais été dérangé par le battement d'une porte de grenier laissée ouverte et j'avais appelé pour qu'on allât la
fermer.
Mme Blavatsky, aussi réveillée, avait envoyé son domestique, qui couchait à portée de voix, s'enquérir de ce
qui se passait. Le colonel Olcott, président de la Société
Théosophique, également notre hôte à l'époque dont je parle, était resté avec nous, depuis notre retour de la course manquée jusqu'à notre nouvelle mise en route. Ce serait une conjecture extravagante
d'imaginer qu'il aurait employé sa nuit à descendre quatre ou cinq
milles d'un khud difficile, à travers des sentiers forestiers
inextricables, pour enterrer la tasse et la soucoupe d'un service que
nous ne prendrions probablement pas, dans un endroit où: nous n'irions
probablement pas, dans le but excessivement incertain de les faire
servir à une
mystification. En outre, on pouvait arriver au lieu de
notre destination, par deux chemins partant des extrémités opposées du fer à
cheval formé par les collines sur lesquelles Simla est bâtie.
Nous étions libres de choisir l'un ou l'autre, et ni Mme Blavatsky, ni
le colonel Olcott, n'émirent d'avis au sujet de la route à suivre. Si
nous avions pris l'autre, nous ne serions jamais passés à l'endroit où: nous fîmes notre halte.
Dans cette affaire, arguer d'une fraude, quelle qu'elle soit, c'est
jeter un défi au bon sens. La folie d'une semblable explication apparaîtra davantage à mesure que j'avancerai dans mon récit et que l'on pourra comparer le fait avec ceux qui
suivirent, car je n'ai pas fini de narrer les incidents de la matinée « de la tasse à thé ».
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(1) Prestidigitateurs habiles qui ont donné des séances à l'Egyptian Hall, à Londres.
(2) Les
Initiés doivent ecirc;tre en relation
occulte astrale, mentale, causale, selon leur degré de développement pour pouvoir communiquer entre eux.